Par DOMINIQUE MANENC :
Institution emblématique depuis l’après-guerre, L’Ami des lettres relance l’accrochage régulier d’expositions, qui cohabitera avec l’activité d’expertise d’objets d’art.
De tout temps, pour situer la galerie L’Ami des lettres, on disait: « à l’angle du Noailles ». Une institution pouvant en cacher une autre, les amateurs de belles choses trouvaient immanquablement le chemin de ce lieu emblématique de la ville, inscrit dans les mémoires bordelaises depuis sa création, en 1947, par Mademoiselle Duvergey, dont on ne prononçait jamais le prénom, Madeleine, le patronyme suffisant à identifier une grande famille de médecins de la place.
On s’y pressait pour feuilleter les livres de la librairie généraliste, admirer les expositions de peinture traditionnelle dédiée aux talents locaux tels que Carrère, Théron ou Vallet, écouter les conférenciers prestigieux, comme Pierre-Henri Simon, chroniqueur littéraire du journal « Le Monde ».
En 1955, cette activité émigra, faute d’espace, au cinéma Capitole, où les deux cent trente membres du club jeunesse littéraire avaient pris leurs habitudes. Parallèlement, un public plus âgé et plus mondain optait pour « les jeudis et samedis littéraires de Bordeaux », animés par leur fondateur, Georges Planes.
« Un seigneur, un prince »
Au décès de Mademoiselle Duvergey, sa nièce, Madame Héraud, prend les rênes de la galerie, un concentré de culture sur 120 mètres carrés de parquets cirés qui avaient été foulés par des milliers d’amis des lettres. « Avec Madame Héraud, nous avons fondé les nouvelles conférences de Bordeaux au Trianon et au Fémina », se souvient l’écrivain Jean-Marie Planes, le fils de Georges.
Des noms et des figures restent attachés à l’histoire de ce temple de l’art. Félix de Rochebrune, par exemple, comédien et directeur du théâtre Molière qui s’occupait ici de la vente des livres ou de la présentation des toiles : « Un homme charmant », dit Jean-Marie Planes. Jean Jansem, dont la peinture figurative d’après-guerre évoquait l’esprit de Buffet, y a accroché ses tableaux. Le Bordelais Mathieu Diesse, issu d’une grande famille du pays basque, a exposé ses toiles dans les années 90. « Des bus de trois cents personnes arrivaient de sa région d’origine, chorale à l’appui, lors des vernissages. C’était un seigneur, un prince, un personnage rare », assure Alexis Maréchal, propriétaire de la galerie depuis 2000.
Un bureau d’expertise
Cet expert en objets d’art y a installé un bureau permanent où il examine les œuvres qui lui sont confiées pour être mises aux enchères à l’espace Tajan, à Paris, la célébrissime maison française. « L’activité d’expertise a toujours coexisté avec la galerie dont le rythme des expositions était tombé à une par an », détaille Alexis Maréchal.
Jean-Bernard Marsan, gérant de la société Guyenne Art Gascogne, est chargé de relancer ce secteur : « Avec mes associés, nous pensons organiser plusieurs événements annuels avec des artistes qui ont des attaches aquitaines. » L’exemple a été donné hier soir, lors du vernissage de l’exposition de François -Xavier Fagniez, natif de Salies-de-Béarn, qui installe ses tréteaux, chaque été, à Biscarrosse. Les planchers et rayonnages ont été remplacés, depuis 1974, par de la moquette marine et des murs blancs. « Un décor déjà étonnamment moderne », souligne Alexis Maréchal qui a aussi conservé le nom de l’enseigne : « Je ne l’aurais changé pour rien au monde ! »
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Jean-Bernard Marsan et Alexis Maréchal veulent redynamiser la galerie de la rue Jean-Jacques Bel. PHOTO PHILIPPE TARIS